dimanche 31 mars 2013

L'Ethiopie cherche à capter plus d'investissements étrangers

C'est en 2007 que Stéphane Mottier s'est installé ici. Dans ce coin perdu, situé à une vingtaine de kilomètres d'Addis-Abeba, il n'y avait alors que des eucalyptus, des hyènes, des babouins et des antilopes. Six ans plus tard, sa ferme, Gallica Flowers, produit quelque 5 millions de roses par an. Des roses de luxe qui poussent, tout au long de l'année, sous 8 hectares de serres. Elles partent chaque jour par avion vers les marchés européens - français surtout - mais aussi russe, arabe, africain et asiatique. Trente ans après le Kenya, l'Ethiopie s'est lancée dans l'industrie des fleurs coupées. Le climat tempéré s'y prête. L'altitude encore plus : Addis-Abeba est à 2 500 mètres. Et puis, paradoxe de ce pays connu pour ses famines dans les années 1980, il y a de l'eau, en quantité. Seul, un arc qui va du nord-est au sud-ouest de l'Ethiopie connaît une sécheresse chronique. Là, cinq millions de personnes, au moins, souffrent et même meurent de sous-nutrition. Quand il a quitté l'Equateur, où il venait de passer douze ans à produire des fleurs, Stéphane Mottier pensait s'installer au Kenya. Après un voyage de repérage, il y a renoncé. "Trop de violence, trop de corruption", résume ce Français d'une cinquantaine d'années. En Ethiopie, les obstacles sont nombreux, mais "aucun n'est insurmontable", et surtout, dit-il, "je ne me suis jamais heurté à de la corruption." "LES CHOSES AVANCENT" L'ancienne Abyssinie, "terre d'opportunités" ? Tous les expatriés l'affirment. Les experts aussi. "C'est un pays de PME où il faut être. Il n'y a que 300 entreprises européennes ici. C'est ma frustration au quotidien !, souligne un économiste européen. De loin, l'Ethiopie apparaît difficile, mais sur place, on s'aperçoit que les choses avancent." En 2012, l'Ethiopie a reçu 1 milliard de dollars (environ 782 millions d'euros) d'investissements directs étrangers (IDE). Elle espère doubler ce montant annuel d'ici à 2015. Bien que peu présente, c'est l'Union européenne qui a fourni l'essentiel de ces IDE ces vingt dernières années, suivie de l'Inde, de la Turquie, du Soudan, de l'Arabie saoudite (en la personne, surtout, d'un milliardaire saoudien d'origine éthiopienne) et des Etats-Unis. Mais la Chine, longtemps cantonnée à la 6e place, gagne du terrain depuis cinq ans. "Quand ils viennent ici, les Occidentaux focalisent d'abord sur les risques : le réseau de téléphonie mobile défaillant, Internet trop lent, les coupures d'électricité, etc. Les Chinois, eux, prennent ces handicaps pour des opportunités !, s'exclame Zemedeneh Negatu, représentant d'Ernst & Young pour l'Afrique de l'Est. Ils savent que ces inconvénients ne sont que transitoires. Si les Occidentaux attendent que tout marche bien pour investir ici, ils vont rater le coche !" PRODUIT INTÉRIEUR BRUT QUADRUPLÉ D'ICI À 2025 Né en Ethiopie, mais élevé aux Etats-Unis, Zemedeneh Negatu plaide avec vigueur pour qu'Européens et Américains investissent davantage dans cette Ethiopie pré-émergente. "Il reste de la place pour tout le monde et pas seulement la Chine ! Infrastructures, manufactures, mines, pétrole et gaz... Tout est à faire !" insiste-t-il. Selon lui, au rythme où elle croît, l'Ethiopie verra son produit intérieur brut (PIB) quadrupler d'ici à 2025, tandis que sa population passera de 90 millions à 120 millions d'habitants. Déjà omniprésents dans le secteur de la construction - Addis-Abeba est un chantier à ciel ouvert -, les Chinois délocalisent ici de plus en plus d'entreprises, attirés par la main-d'oeuvre bon marché et l'abondance de cuir. Huajian, l'un des plus importants fabricants chinois de chaussures, s'est ainsi installé l'année dernière à Durkem, à une trentaine de kilomètres d'Addis-Abeba. Outre Huajian, cette Eastern Industry Zone abrite déjà six usines à capitaux chinois, dont une usine de montage automobile et une fabrique de plastique. "Ici, le coût d'un salaire moyen est d'environ 80 dollars par mois, alors qu'en Chine, il dépasse les 500 dollars !", rappelle Zemedeneh Negatu. Décidé à faire de l'Ethiopie un pays à revenu intermédiaire d'ici à 2025, le gouvernement offre aux investisseurs étrangers - surtout ceux qui rapportent des devises - une série d'avantages, comme des années d'exonération fiscale, des terrains et des prés à bas prix, ou encore l'électricité gratuite. RESTE QUE POUR INVESTIR ICI, "IL FAUT LE VOULOIR" "Passer de l'afro-pessimisme à l'angélisme me paraît ridicule, mais pour moi, l'Ethiopie a tous les ingrédients d'un boom durable, en particulier grâce à la taille de sa population", déclare Bernard Coulais, directeur général à Addis-Abeba du groupe BGI-Castel (bière et vin), le plus important des investisseurs français en Ethiopie. Dans ce pays majoritairement chrétien orthodoxe, le groupe BGI-Castel a vu ses ventes de bière augmenter de 23 % en 2012. "Nos trois usines tournent sept jours sur sept et on n'arrive pas à répondre à la demande ! Nos ventes progressent en parallèle au développement du réseau routier et à l'électrification du pays. Car la bière, ça se boit frais !", se réjouit M. Coulais. Reste que pour investir ici, "il faut le vouloir", tous les entrepreneurs étrangers le soulignent. Bureaucratie. Problème du foncier (les terrains sont vendus par l'Etat pour une durée de trente ans). Réglementation changeante et parfois incohérente. Absence de port (Djibouti est le seul accès à la mer). Mais, plus que tout, manque de devises et crise des liquidités, le pouvoir donnant la priorité aux investissements publics. "Le régime ne veut pas renoncer à contrôler le secteur privé, qui reste du coup embryonnaire. Pour que l'Ethiopie devienne un "Tigre africain", sur le modèle de la Chine ou du Vietnam, il va falloir que les autorités lâchent la main et acceptent le rééquilibrage du public et du privé, avertit un économiste. Sinon, la croissance se heurtera à la surchauffe, et la bulle explosera."

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